Source:
Discours merveilleux et veritable, d'un Capitaine de la ville de Lyon, que Sathan a enlevé dans sa chambre, depuis peu de temps. Dedans lequel est contenu comme le tout s'est passé. Avec allegations d'Histoires sur ce subject. A Paris, par Fleury Bourriquant, 1613, pp. 9-13. [B.M. Poitiers, E183(2)]
DISCOURS
VERITABLE.
[...] Mais helas, ô horreur & frayeur ! la presente Histoire (tres-funeste & espouvantable) nous fournit un subject de ce que dessus, fort triste & lamentable, d'un de la fameuse cité de Lyon, lequel on nommoit le Capitaine Lyon, qui a esté enlevé du diable, entre dix et unze heures du soir, luy estant dans sa chambre, les fenestres & porte bien fermées: Cestuy-cy estoit de pauvre maison, presque inconnuë du commencement, & menuisier de son estat: mais estant porté d'ambition & d'orgueil, tascha d'advancer sa fortune à quelque hault degré; & quittant son mestier, s'addonna à suivre la guerre, qui estoit assez allumée en ce temps là, par la funeste ligue*: & en peu de temps (outre l'opinion commune) s'advança, sans qu'on se peust appercevoir par quel moyen il se haulsoit ainsi de jour en jour, en argent & habits de toutes sortes: tellement qu'il paroissoit, au grand estonnement d'un chacun, non pas un menuisier, ou soldat, mais comme un seigneur & grand renté gentilhomme: si bien qu'on ne parloit par la ville de Lyon, & és environs, que de ce Capitaine Lyon, qui estoit plus Capitaine de piaffe & d'orgueil, que d'armes et d'effect, changeant tous les jours de nouveaux habits, fort sumptueux: ordinairement aux tavernes, à l'exercice des cartes & des dez: l'argent en abondance, tout luy venant à souhait: heureux au jeu, ordinaire aux putains & garces, qu'il entretenoit magnifiquement, & à grands frais: brave, la moustache relevée, la queuë de cheveux pendante sur sa belle fraize, au bout de sa perruque noire, fendant l'air du bout de sa ronflante espée: bref, si plein de biens mondains & d'heur, que plusieurs portoient envie à cet imaginaire bon-heur, lequel estant arrivé à son plus hault & dernier periode, fut recognu non pas bon-heur, mais mal-heur, triste & desplorable: & a on recognu depuis que ces biens si soudainement arrivez, voire comme champignons en une nuict, estoient venus de mauvaise & illicite trafique, comme l'effect on a jugé la cause evidemment, à la veuë d'un chacun, par un hideux spectacle, qui fut tel comme s'ensuit. Le soir auquel prit fin ce bon-heur si miserable, il ferma les porte & fenestres de sa chambre: & comme il se despouilloit pour s'aller coucher, ayant dit plusieurs fois à sa femme qu'elle s'allast coucher, & elle n'y voulant neantmoins aller si tost, le voyant (outre sa coustume) fort triste, pensif & abbatu: sur ce on heurte à la porte de sa chambre, il ouvre, & voicy deux hommes habillez de noir qui se presentent, disans avoir quelque chose à luy dire: ayans parlementé ensemble, avec assez grand estrif, que la femme entendit, il se disparurentà l'instant: luy r'entra en la chambre, & ferma la porte, disans derechef à sa femme qu'elle s'allast coucher; ce qu'à son commandement elle fist: il se pourmena quelque peu par la chambre, souspirant profondement, & tout soudain ne fut plus veu, sans que porte ny fenestres fussent aucunement ouvertes: & ne resta pour enseignes de son despart & enlevement que son bonnet de nuict à terre, & ses pantoufles de chambre, qu'il avoit aux pieds: la pauvre femme demeurant toute estonnée, stupide & demy morte, ne voyant plus son mary, qu'elle venoit de perdre à sa veuë, tout soudainement cerche de tous costez, mais il ne fut plus trouvé, il estoit desja loing, il avoit des rudes charretiers qui le hastoient bien d'aller: Voila comme le diable, apres l'avoir contenté quelque temps, & repeu de vanité, l'a enlevé & mené où il a accoustumé de conduire ceux qui s'addonnans aux vanitez du monde, se donnent à luy, & luy font homage, luy donnans leur ame (qui est immortelle) pour du vent, de la bouë & de l'ordure. [...]
* : "funeste ligue" (the "funest league") here is an allusion to the Catholic League.
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